Introduction de Michèle Vianès, présidente de Regards de Femmes
(intervention, biographie)
1ère table ronde : Vers la parité femmes/hommes dans les instances
élues
(Reine Mataix, Saida Dorra Draoui, Dominique Daures, Awa N’Diaye)
INTERMEDE : Discours de Hubertine Auclert, Marseille, Congrès socialiste de 1879
2ème table ronde : Les femmes et la gouvernance démocratique
(Bernard Lamizet, Brigitte Coulon, Muguette Dini, Nicole Théron,
Julienne Mukabucyana)
Bernard Lamizet, Professeur à Sciences Po Lyon : Les femmes actrices de la démocratie (Intervention, biographie)
Bernard Lamizet reprend l’étymologie du mot « cité » pour nous faire comprendre quelle est la place des femmes dans la cité, dans l’espace public.
L’identité des femmes ne saurait se confondre avec celle des hommes. En raison de leurs spécificités sexuelles et de leur place particulière dans la filiation et dans l’espace familial, elles ont une place qui ne saurait se confondre avec celle des hommes. En revanche, dans une société démocratique, si les femmes ont une identité spécifique, leurs droits doivent être les mêmes que ceux des hommes. C’est sur l’indistinction des droits entre hommes et femmes que se fonde le caractère démocratique d’une société politique.
Il reprend le terme de "morte civile" utilisé par Hubertine Auclert : pourquoi les femmes sont-elles mortes ? Parce qu’elles ne sont plus dans la cité. Elles sont dans la ville, on les voit. Mais en ce qui concerne la cité, les décisions, les choix, le pouvoir, elles sont mortes. On ne leur reconnaît plus la vie politique.
Or, le citoyen est indistinctement homme ou femme, ce qui le fonde c’est qu’il est reconnu par l’autre. L’Universel c'est ce qu’on ne choisit pas : on choisit d’être de gauche ou de droite, on choisit d’habiter en ville ou à la campagne, mais on ne choisit pas d’être femme ou homme. C’est parce que ça échappe au choix politique que la parité devrait s’imposer. Tant qu’on a besoin de lois sur la parité, c’est que l’universel n’est pas encore entré dans la politique.
La parité n’est pas appliquée et pose problème en politique parce que la différence des sexes est le point de tension entre deux espaces : l’espace de la filiation et l’espace politique. Hommes et femmes ont un rôle égal dans la filiation. Mais quand on quitte cet espace pour entrer dans l’espace politique, cette égalité n’existe plus. Pour dire que chacun est à sa place dans l’espace de la filiation il y a l’interdit de l’inceste. On ne peut être le fils et l’époux, chacun a une place. Mais dès qu’on entre dans l’espace politique, il y a l’impératif de l’indistinction, de l’universel. Nous sommes tous des citoyens dans l’espace politique, de façon indistincte. La femme a toujours été nécessaire pour la filiation mais dans le domaine du pouvoir, les hommes, se sont empressés d’écarter la femme pour pérenniser leur pouvoir. Les hommes refusent le pouvoir aux femmes parce qu’ils sentent leur identité menacée. Il y a donc une double interrogation à avoir sur la place des femmes dans la société. Quel est le sens dans notre inconscient de l’articulation entre l’identité dans la filiation et l’identité politique ? Quelle est la place des femmes dans ce double rôle : donner naissance et s’engager en politique ?
Brigitte Coulon, maire de Rancé (01), Présidente de la Communauté de communes Porte Ouest de la Dombes : Avancées et limites de la loi française. (Intervention, biographie)
La société civile a aujourd’hui intégré la parité mais les femmes ne sont pas curieuses de la vie publique parce qu’intellectuellement elles n’ont pas été aiguisées pour la vie publique.
Dans les faits la parité dans les petites communes est difficile à mettre en œuvre car il est difficile de trouver des femmes candidates aux postes de responsabilité. Les femmes veulent bien travailler pour leur commune, mais ne veulent pas s’approprier le pouvoir.
En France, les femmes, grâce à l’école ont accès à une égalité de genre et de chance. C’est au combat que l’on se construit et les femmes ne sont pas habituées à combattre, dans le domaine politique. Il faut que les femmes n’aient pas peur de ne pas être aimées. Pour accéder au pouvoir, on n’est pas dans le charme, on est dans le travail. On n’a pas à prouver que l’on sait. Les femmes ne savent comment se comporter face au pouvoir, elles oscillent entre charme et agression et bien souvent elles s’interdisent d’accéder aux plus hautes fonctions.
La société civile est beaucoup plus mûre pour élire des femmes que les parlementaires qui nous représentent. Les vieux dinosaures de l’Assemblée Nationale occupent leurs places depuis longtemps (cumul des mandats) et ne sont pas prêts à la laisser. Parfois il y a excès de mandat et on ne peut les exercer de manière efficiente, mais il semble important que les parlementaires aient aussi un mandat d’élu local, de maire.
Muguette Dini, Sénatrice du Rhône : Avancées et limites de la loi française. (Intervention, biographie)
Muguette Dini pense que l’efficacité de la loi sur la parité a été très inégale selon les types de scrutin. Lors des scrutins de liste, la constitution paritaire obligatoire des listes a permis une avancée notable. A contrario, le recours à des pénalités financières imposées aux partis qui ne présentent pas une proportion suffisante de candidates, lors des scrutions uninominaux est totalement inefficace. Les 7 millions d’euros à payer pour le non-respect de la parité par les 2 partis majoritaires ne sont pas pénalisant car ces partis sont dotés de 80 millions d’euros, en fonction des parlementaires élus.
On observe même une régression. En 2011, juste avant le renouvellement, le Sénat comptait 80 sénatrices, représentant 23,5% de la Haute assemblée. Le dernier renouvellement marque un repli. En effet, le Sénat ne comporte plus que 77 femmes (22,1%), et ce alors que son effectif global est passé de 343 à 348 sénateurs. Sur les 49 sénatrices qui ont été élues en 2011, 39 - soit les quatre cinquièmes - l’ont été dans des départements où l’élection se déroulait au scrutin de liste proportionnel. En outre, plusieurs listes dissidentes ont été constituées par des hommes, pour faire barrage à l’élection de femmes, situées en deuxième position sur des listes.
A l’exécutif du Sénat il y avait 3 femmes, jusqu’au renouvellement de septembre 2011, il n’y en a plus qu’une aujourd’hui. Au Sénat, uniquement les groupes « communiste » et « vert » sont paritaires.
Le principe de parité réside dans une égale candidature des femmes et des hommes, aux scrutins à la proportionnelle mais aussi aux scrutins majoritaires uninominaux. Muguette Dini propose donc un bulletin paritaire. Les électeurs pourront choisir librement entre un homme et une femme, sans préjuger de la parité du résultat.
Elle évoque ensuite la loi modifiant l’organisation des territoires : désormais on élira des conseillers territoriaux au scrutin uninominal à 2 tours, comme les députés. Actuellement, on dénombre 47 % des femmes dans les conseils régionaux. On imagine qu’avec cette nouvelle loi créant des conseillers territoriaux, il n’y aura pas plus de 15% de femmes conseillères territoriales.
Muguette Dini est membre de la Délégation aux droits des femmes, constituée de sénateurs et députés représentant leurs groupes. Mais cette délégation n’a aucun poids. Elle fait des propositions mais n’a pas d’impact suffisant. La délégation a étudié les violences faites aux femmes mais il y a des résistances archaïques. C’est dans les mentalités qu’il faut changer les choses.
Nicole Théron, présidente de l’Association des conseillères et conseillers municipaux du Rhône (ACMR) : La formation des élus : estime de soi et savoir-faire. (Intervention, biographie)
L’ACMR est une association née en 1978 de la volonté de quelques femmes élues qui se trouvaient bien isolées dans leurs communes. Elles souhaitaient échanger avec les élues des autres communes et se former pour mieux exercer leur mandat électif (car les femmes se remettent toujours en question… sur leurs capacités). Muguette Dini, également présente à ce colloque, a été l’une des premières présidentes. Depuis 2001, et la loi sur la parité, des hommes ont été intégrés au Conseil d’Administration mais la présidence reste féminine. Cette association est constituée d’élu-e-s bénévoles qui mettent leurs compétences aux services d’autres élu-e-s. Elle dispense des formations sur des thèmes spécifiques : mise en place d’un agenda 21, application du grenelle de l’environnement, étude de ce qu’est un éco-quartier, tenir un budget. Il y a eu 3 sessions de formation sur le budget entre 2008 et 2009.
Depuis septembre 2008 ont été mises en place des sessions de formations et d’informations sur la réforme des collectivités territoriales qui va bouleverser les mandats et la façon de vivre des élu-e-s. L’élu-e a besoin d’un savoir-faire mais aussi d’un savoir-être : il y a donc également des formations sur la prise de parole en public, la gestion d’une réunion, etc.
Julienne Mukabucyana, Diaspora Rwandaise de Toulouse : La reconstruction post-conflit au Rwanda. (Intervention, biographie)
Quelques chiffres à propos du génocide de 1994 : en 3 mois, entre 800 000 et 1 million de morts (avril à juin 1994). 12% de personnes tuées, des milliers d’handicapés/de mutilés. 80% des enfants ont assisté aux viols de leurs mères ou au massacre de leurs pères. La prise du pouvoir par la FPR a marqué la fin du conflit mais il a quand même continué. La guérilla hutue continuait à lancer à partir du Congo des attaques sur le Rwanda. Le gouvernement rwandais avait deux challenges : restaurer l’autorité et reconstruire le pays.
La reconstruction s’est faite autour de 3 axes :
- Renforcer simultanément et cumulativement l’élan vers la paix et la réconciliation nationale, tout en s’occupant des personnes rescapés et traumatisées
- Assurer la stabilité de son territoire et la sécurité intérieure et extérieure (= réduire toutes les poches de résistance des ex-militaires).
- Encourager des actions de reconstruction et de développement (grandement portés par les femmes)
Pour ce faire, il fallait mettre tous les rwandais ensembles au travail.
Le Rwanda a dû changer la constitution pour définir le concept de génocide, assurer une justice réconciliatrice (promotion des Droits de l’Homme) sachant que les intellectuels, les magistrats et les avocats, opposés au génocide avait été les cibles des miliciens car ils osaient résister intellectuellement. Un centre d’écoute et de réconciliation a été mis en place pour assurer le bien-être psychologique de la population. Le viol a été reconnu comme arme de guerre; les femmes ont osé aller témoigner au TPI et décrire les viols dont elles avaient été victimes.
Le Rwanda, après le génocide, s’est retrouvé avec une population de 70% de femmes. Les hommes avaient été anéantis. Les femmes étaient sur tous les fronts et particulièrement présentes dans toutes les actions de développement: culture nourricière, enlèvement des ordures, entretien des jardins et édifices publics, gardiennage, mais aussi des postes à responsabilité aussi bien dans la gestion politique que dans la gestion des entreprises etc. La participation des femmes à la reconstruction du pays a été fortement appuyée par le gouvernement. Elles ont été reconnues, valorisées, et on leur a confié des responsabilités. Au parlement rwandais, 49% des députés sont des femmes, ainsi qu’une très forte proportion de sénatrices et de femmes ministres.
Débat
Présentation par une journaliste Camerounaise de la situation dans son pays, 1 semaine après les élections présidentielles.
Questions sur la parité en entreprises et la présence de femmes dans les CA des entreprises, sur les actions à mener (
réponse de Muguette Dini, sénatrice) pour réagir aux modifications territoriales, pour des précisions sur la situation en Afrique et une demande d’étudiantes de sciences po de débats analogues dans tout le champ des droits des femmes.
Lors de sa réponse pendant le débat, Madame Awa N’Diaye, Ministre d’Etat du Sénégal, a terminé son intervention en disant que pour « les Africaines, le féminisme était une question de survie ».
Conclusion de Michèle Vianès
La loi dite de parité n’a donc réussi ni à gommer les effets discriminants du système uninominal ni à inciter les partis à respecter la loi paritaire, mission que leur attribue pourtant l’article 4 de la Constitution. Lors des législatives, les grandes formations préfèrent payer de lourdes pénalités plutôt que d’investir des femmes en lieu et place des sortants. Comme le dit Yvette Roudy, Ministre des droits des femmes de 1981 à 1986 : « Rappelant aux femmes que la galanterie serait une insulte en politique, les partis, tels des clubs anglais, résistent aux mutations et reproduisent désespérément un corporatisme guerrier. Celles qui, disposées à servir un idéal de transformation sociale, souhaitent entrer en politique sont rejetées par ces structures partisanes où la langue est d'un bois tranchant. »
Michèle Vianès clôt le colloque en reprenant une citation des camerounaises du Réseau More Women in Politics : « L’homme et la femme sont comme les deux ailes d’un oiseau, et tant que l’aile féminine ne sera pas déployée comme l’aile masculine, le Cameroun, j’allais dire l’humanité, ne prendra pas son envol ».
NAVIGATION & ANNEXES